Les bulles de la Nouvelle-Écosse


Photo ci-dessus : Gerry McConnell, propriétaire du vignoble Benjamin Bridge

Article par Karen Pinchin – Photos par Darren Calabrese

Karen, qui est née à Toronto, habite les Maritimes canadiennes depuis cinq ans. Elle aime le ski de fond, jouer du tuba dans la fanfare communautaire et faire pousser de l’ail. Darren est un photographe primé qui habite aussi les Maritimes. Il se spécialise dans la photographie de portrait, de reportage et de magazine de prestige.

Cette province canadienne est une source improbable de vin mousseux de classe mondiale.

En 2012, un orage électrique d’automne spectaculaire s’est abattu sur le vignoble Benjamin Bridge, en Nouvelle-Écosse. L’établissement, qui a été acheté par Gerry McConnell, un dirigeant du secteur minier, et sa femme Dara Gordon, accueillait alors le mariage de leur fille Devon McConnell-Gordon.

« C’était l’un des pires orages que j’ai jamais vu dans la vallée de la Gaspereau », raconte Mme McConnell-Gordon. Des éclairs fendaient le ciel violet, illuminant les raisins qui attendent encore la vendange. Cette jeune Néo-Écossaise maintenant directrice générale du vignoble, ainsi que sa sœur jumelle, ne sont que deux parmi la foule de nouveaux entrepreneurs avisés de la région. Elles s’affairent à transformer cette province en un incontournable de la boisson, tout particulièrement dans le monde effervescent du vin mousseux.

La côte nord de la Nouvelle-Écosse n’est peut-être pas encore célèbre pour son vin, mais elle est sur la bonne voie. Selon Peter Gamble, l’un des plus éminents conseillers en vin au Canada, ce n’est que depuis les dernières décennies que les vignerons et les viticulteurs ont commencé à prendre ce terroir au sérieux, évaluant ses qualités et adaptant la longue saison de croissance à des styles de vin particuliers. « Le terroir de la Nouvelle-Écosse est très distinctif », explique M. Gamble, qui a été embauché par Benjamin Bridge dès les débuts de l’entreprise et qui a contribué à l’élaboration de son programme de production de mousseux.

Wolfville, terre d’accueil de nombreux vignobles, est facilement accessible en voiture depuis Halifax, la capitale et plus grande ville de la Nouvelle-Écosse. Cela dit, une fois arrivée en ville, j’ai un chauffeur désigné nommé Jim Petrie, soit le chauffeur du Magic Winery Bus (le bus magique des vignobles) de Wolfville. En été et au début de l’automne, ce bus rouge de style anglais circule en boucle en s’arrêtant à chacun des quatre vignobles de la région, offrant ainsi aux touristes un moyen de transport sûr pour explorer ces domaines, entre 10 h et 17 h du jeudi au dimanche.

Si vous savez boire avec modération, sachez que le Magic Bus n’est pas votre seule option. En effet, il existe plusieurs autres circuits privés en ville qui peuvent vous faire visiter n’importe quel vignoble de la région. Deux autres entreprises, Go North Tours et Grape Escapes, proposent des circuits vinicoles personnalisés selon vos préférences, en formules demi-journée ou journée complète.

Pour les explorateurs affamés, Luckett Vineyards est tout indiqué, avec sa superbe terrasse ensoleillée surplombant ses vignes. Le bistro offre un vaste choix de soupes, paninis et entrées. J’ai opté pour une salade délicieuse que j’ai savourée entre les dégustations. Faites passer votre repas avec un verre de vin rouge Buried Red, qui est vieilli sous terre dans des barils de chêne français et américain pendant 28 mois à 2,43 mètres (8 pieds) de profondeur, ou encore son fameux blanc Phone Box White.

Nous arrivons à L’Acadie Vineyards. Ce matin, le propriétaire Bruce Ewert et ses trois enfants mettent en bouteille le rosé du vignoble. Alexa Ewart, 20 ans, est la seule qui soit légalement autorisée à verser de l’alcool; elle sert une dégustation des vins mousseux primés de l’établissement.

« Avant d’acheter cette propriété, nous avons pris soin de bien évaluer le sol », indique-t-elle. Séduite par les propriétés minérales du sol et la longue saison de croissance, sa famille a décidé de s’établir ici quand elle avait sept ans. Cela faisait plus d’une décennie que son père produisait du vin en Colombie-Britannique, mais sa mère est née en Nouvelle-Écosse et éventuellement, sa famille a souhaité du changement. L’industrie viticole de la région a depuis explosé avec l’arrivée de plus de 20 établissements vinicoles. « Encore aujourd’hui, certains demeurent véritablement étonnés que nous parvenions à faire du très bon vin en Nouvelle-Écosse », s’exclame-t-elle en riant.

La jeune fille, qui étudie actuellement le théâtre à Vancouver et revient aider ses parents pendant l’été, affirme que la plupart des visiteurs ne prennent toujours pas conscience de la quantité de travail derrière l’élaboration d’un vin mousseux selon la méthode traditionnelle. Il s’agit de reposer le vin sur un chai incliné, inventé par la Française Madame Clicquot au début du 19e siècle, pour que les levures mortes issues de la fermentation puissent se déposer dans le col des bouteilles. Puis, ces cols sont congelés et dégorgés, et une fois que les rondelles de levure surgelées sont expulsées, les bouteilles sont scellées à nouveau. « Aujourd’hui, je comprends vraiment pourquoi le vin mousseux est si délicieux et si dispendieux, mais c’est en réalité un prix fort acceptable pour tout ce que ça implique. C’est une question de perspective », dit-elle.

Avant d’occuper le poste de vinificateur en chef en 2009 au vignoble Blomidon Estate Winery, Simon Rafuse, né à Halifax, a travaillé chez d’autres vignobles en France et en Nouvelle-Zélande. Titulaire d’une maîtrise en viticulture et œnologie de SupAgro Montpellier en France, c’est la chance de produire des vins incroyables dans une région encore méconnue qui l’a convaincu de s’établir ici. « En l’espace de quelques années, nous sommes passés d’une industrie viticole familiale sans prétention à participant dans des salons du vin partout au monde », dit M. Rafuse, ajoutant que certains jours, ils ont du mal à répondre à la demande. « Nous sommes particulièrement recherchés dans les restaurants, on sent un véritable engouement. Notre croissance a vraiment explosé. »

Du côté de Benjamin Bridge, le vinificateur en chef Jean-Benoit Deslauriers affirme que le caractère des vins de la région de Wolfville est attribuable en grande partie à la circulation de l’air « miraculeuse » engendrée par les marées montantes et descendantes de la baie de Fundy, lieu des plus extraordinaires changements de marée au monde, desquels découlent les températures modérées dont les vignes peuvent profiter. « Les raisins mûrissent et la teneur en sucre augmente, mais l’acidité demeure pratiquement intacte », explique-t-il. Le résultat est un mélange quasi inégalé de fraîcheur et de richesse. « Les vins ont de l’énergie, une belle concentration et une superbe structure, la recette parfaite d’un vin mousseux préparé selon la méthode traditionnelle », dit-il.

Il y a près de 20 ans, M. Gamble a évalué pour la première fois le terroir champenois de Benjamin Bridge. Il a alors recommandé à la plantation familiale d’opter pour des raisins français classiques, soit le pinot noir, le chardonnay et le pinot meunier, avec l’objectif d’établir une production de classe mondiale dans le domaine du mousseux. La nuit des noces de Devon McConnell-Gordon, alors que la fureur de l’orage était à son apogée, le mot préféré de Jean-Benoit Deslauriers pour décrire leurs vins n’était plus qu’une métaphore. « Électrique », dit le vinificateur.

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