Escapade routière nostalgique sur la Route 66 : de Saint Louis à Chicago

Henry Soulsby a construit sa station-service à Mount Olive, dans l’Illinois, en 1926.

Henry Soulsby a construit sa station-service à Mount Olive, dans l’Illinois, en 1926.


Photo ci-dessus : Henry Soulsby a construit sa station-service à Mount Olive, dans l’Illinois, en 1926.

Article et photos de Joe Rogers

Joe est un rédacteur et un photographe touristique qui travaille à la pige à partir de Denver, au Colorado.

Une escapade routière de fin de semaine sur la Route 66 à travers les terres agricoles de l’Illinois mène à des cafés-restaurants classiques, à des cinéparcs et à la splendeur de la grande ville.

Une forte pluie froide s’attaquait à mon corps fatigué; alors, pour me protéger contre ce déluge matinal, je me suis vite réfugié sous l’auvent du kiosque de glaces aux œufs Ted Drewes Frozen Custard dans le quartier Southside de Saint Louis. Même si la ville était recouverte de gros nuages gris qui menaçaient d’envoyer encore plus de pluie et de temps froid, une file d’attente croissante de gens s’était déjà formée. Je frissonnais déjà dans mon T-shirt trempé, mais Ted Drewes confectionnait un délice appelé « concrete » (béton), qui était apparemment en un dessert incontournable.

En arrivant à l’une des fenêtres de commande, j’ai passé ma commande, « Un "All Shook Up concrete" (béton-bien-secoué), grand format, s’il vous plaît. ». Le caissier a réapparu quelques instants plus tard et a retourné ma tasse à l’envers puis à la verticale avant de la remettre à moi. La glace aux œufs était si épaisse qu’elle n’avait pas bougé d’un pouce.

« Savourez-la bien! », dit-elle, en souriant.

Le kiosque Ted Drewes est un commerce incontournable de la Route 66, qui sert les habitants et les voyageurs depuis son emplacement sur la rue Chippewa Street depuis 1941. Ce kiosque et sa boutique-sœur, qui est située sur le South Grand Boulevard, occupent chacun une place dans l’histoire du Missouri, en compagnie de la célèbre Gateway Arch et du pont Old Chain of Rocks Bridge. À l’origine, c’est sur ce point que la Route 66, également connue sous le nom de « route mère », traversait le Mississippi entre le Missouri et l’Illinois.

Depuis que j’ai commencé mon voyage d’environ 3 940 kilomètres à la jetée de Santa Monica, en Californie, j’avais parcouru l’historique Route 66 pendant les deux dernières semaines. Pendant cette période, le paysage a changé comme s’il s’agissait de saisons sur un calendrier. J’ai trouvé que les nuits passées dans des motels historiques étaient une expérience nostalgique; mon ventre a grandement apprécié chaque bouchée des portions géantes de plats classiques; et les conversations sur la vie et la grand-route en prenant un bon café étaient une véritable source d’inspiration. Les petites communautés contournées et leurs entreprises familiales se sont battues pour rester pertinentes. Certaines avaient succombé, leurs vestiges délabrés abandonnés le long de la route. Certaines connaissaient une résurgence progressive. Et cela résume l’histoire de la Route 66; une autoroute à deux voies qui fluctue entre les bonnes et les mauvaises périodes, entre l’espoir et la perte, entre les possibilités et les difficultés.

J’ai passé près d’une heure au kiosque Ted Drewes, et ai eu l’occasion de voir quelques bolides de course arriver dans le stationnement en grondant. La pluie décorait de perles leur extérieur brillant et fraîchement ciré. Mais, c’était le moment de poursuivre mon voyage vers le nord. Un trajet direct de cinq heures me séparait de Chicago, mais j’avais prévu de prendre mon temps. Les arrêts remarquables étaient nombreux.

Mount Olive, dans l’Illinois, est un pittoresque village agricole qui abrite des rues tranquilles, des bâtiments en roche rouge, et une boutique de savoureux beignes appelée B & K Bakery qui est située sur la rue principale. Je me suis arrêté à la station-service de Soulsby, une station Shell restaurée construite par Henry Soulsby en 1926 au coin de la rue First Street. Je me suis installée derrière la fenêtre pendant un bon moment, seul et en silence, à regarder les voitures passer devant, comme elles l’auraient fait durant les années 1930.

J’ai repris la route, en passant devant des champs de blé, de soja et de maïs, mais me suis arrêté à peine 15 minutes plus tard à Litchfield lorsque j’ai aperçu le Ariston Cafe. L’éclairage tamisé et la lueur du néon rouge sur le vieux comptoir en bois évoquaient le statut du café comme l’un des plus anciens restaurants en exploitation constante qui existent encore aujourd’hui sur la « route mère ». Je me suis assis au comptoir sur un siège tournant peu solide et ai commandé un hamburger et des frites. J’avais l’impression que si je fermais mes yeux et écoutais assez fort, je pourrais entendre les conversations de ceux qui m’avaient précédé.

Will Law m’a raconté « Nous avons toujours vécu et travaillé sur la Route 66, sans jamais vraiment y penser ». Il était l’un des quatre nouveaux propriétaires qui avaient acheté le café en juillet 2018. « L’autoroute n’était qu’une route délabrée qui avait besoin de travaux de réparation. Après avoir acheté ce café, nous avons été surpris de constater l’importance que les gens accordaient à la route. La communauté de la Route 66 est une petite communauté étroitement liée. C’est tout simplement incroyable de faire partie de cette communauté et d’accueillir autant de gens dans notre café. »

Le reste du parcours à travers l’Illinois s’est déroulé de manière semblable : de vastes étendues de terres agricoles, des reliques historiques et des scènes de la vie de tous les jours le long d’une autoroute. À cela s’ajoutaient des vestiges de stations-service anciennement achalandées, des groupements de petites communautés et des bizarreries en bordure de route. Il y avait des cafés-restaurants partout et j’ai succombé à la tentation de savourer une pointe de tarte de plus, un délicieux hamburger ou la classique saucisse frite sur bâtonnet du restaurant Cosy Dog Drive In. L’héritage d’Abraham Lincoln florissait toujours à Springfield, qui abrite un quartier historique bien aménagé et la maison de 12 pièces où il avait vécu avec sa femme, Mary, pendant 17 ans. J’ai acheté du sirop d’érable d’une érablière familiale qui existe depuis longtemps à Funk’s Grove, et j’ai trouvé la statue du géant Paul Bunyan à Atlanta et celle du géant Gemini à Wilmington. J’ai également pris le virage à 90 degrés de « Dead Man’s Curve » à Towanda. Tout au long de ce parcours, je n’ai rebroussé chemin qu’une seule fois, et c’est quand j’ai payé 5 $ pour voir un film au cinéparc Skyview Drive-In de Litchifield.

Pendant que nous jasions devant le casse-croûte, le copropriétaire de cette entreprise familiale, Mike Pastrovich, m’a raconté, « En été, cet endroit est bondé de monde ». Des parents sont passés devant nous, suivis de leurs enfants qui grignotaient déjà leur maïs soufflé et leurs bonbons. « Surtout s’il fait beau. » Je me suis installé avec mon propre maïs soufflé au beurre, en me rappelant mon enfance quand les enfants et les parents se tassaient les uns contre les autres sur les hayons devant moi pour regarder le grand écran lumineux.

Mon long voyage le long de la « route mère » s’est terminé un dimanche matin tranquille à l’ombre des gratte-ciel de Chicago. Contrairement aux journées précédentes, j’ai abandonné ma voiture pour profiter pleinement du décor. J’ai parcouru à pied ces quelques derniers coins de rue le long de la East Jackson Street. Le restaurant Lou Mitchell’s distribuait des trous de beigne aux clients qui attendaient pour entrer et le gratte-ciel Willis Tower surplombait les bateaux flottant paresseusement sur l’eau brouillée du canal. Le brouillard s’est installé et une pluie constante s’est mise à tomber. J’ai commencé à marcher plus lent. Avec chaque pas que je prenais, tous les kilomètres, couchers du soleil, arrêts en bord de route et sourires lumineux fondaient en un souvenir harmonieux. Mon voyage s’est terminé devant un panneau brun abîmé dans le haut duquel était écrit le mot « End » (Fin). J’étais arrivé à destination.