Wild Berry Bounty, Nouvelle-Écosse


Photo ci-dessus : de délicieuses fraises d’été

Article par Karen Pinchin – Photos par Darren Calabrese

Karen, qui est née à Toronto, habite les Maritimes canadiennes depuis cinq ans. Elle aime le ski de fond, jouer du tuba dans la fanfare communautaire et faire pousser de l’ail. Darren est un photographe primé qui habite aussi les Maritimes. Il se spécialise dans la photographie de portrait, de reportage et de magazine de prestige.

Une écrivaine canadienne se remémore les cueillettes de fruits de son enfance.

Le propriétaire fermier Peter Elderkin se penche dans un champ baigné par le soleil, à côté de son fidèle compagnon Theo, un bulldog bien trapu de race Valley. Ils sont entourés de rangées de fraisiers. Dans l’ombre des grandes feuilles à pointes, l’énorme fruit d’un rouge intense attend patiemment qu’on vienne le cueillir.

M. Elderkin arbore des cheveux gris ainsi qu’une moustache tombante et touffue digne d’un shérif des années 1850. « J’ai gagné le concours de la plus grosse barbe à l’école secondaire », dit en riant l’agriculteur de neuvième génération, dont les ancêtres sont arrivés sur cette terre en 1760. S’étendant sur près de 71 hectares (175 acres), son entreprise, Farm Market, Bakery and U-Pick, est située sur la route principale qui mène à Wolfville, Nouvelle-Écosse. L’on y célèbre les baies chaque été.

Alors que je m’enfonce dans les sillons de la ferme Elderkin, mordant dans autant de baies chaudes et juteuses que j’en dépose dans ma boîte en bois, je replonge dans mon enfance.

Avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, mon grand-père polonais (mon Dziadzia) errait dans les champs d’Europe, cueillant les bleuets sauvages, groseilles à maquereau, framboises, cassis et fraises que sa grand-mère servait avec de la crème et du sucre. Il n’ a jamais mangé de baies transformées avant d’arriver au Canada après la guerre.

Il y a plusieurs années, dans les régions rurales de l’Ontario, il m’a transmis ses techniques de récolte et m’a appris, ainsi qu’à mes frères, sœurs et cousins, comment trouver des champignons et des baies dans les bois. Les bleuets sauvages étaient petits et abondants, mais les framboises étaient presque réduites en purée sur leurs plants sous l’effet de la chaleur de l’été. Nous avons rempli nos bols comme nos bouches de mûres aussi grosses que grossières, de cerises amères et de fraises fâcheusement minuscules. Alors que des mouches noires se régalaient de nos épaules, des jus aux couleurs de pierres précieuses tachaient nos doigts et nos visages et des épines écorchaient nos mollets bronzés, mais nous revenions toujours habités d’une grande fierté.

J’habite maintenant en Nouvelle-Écosse, où les vallées d’Annapolis et de la Gaspereau sont chaudes et abondantes en été, avec en toile de fond des collines ondoyantes et des falaises rocheuses rouges spectaculaires. Après les froids intenses de l’hiver canadien, cette terre fertile reprend vie et regorge de baies, de fruits, de produits fermiers et de céréales. Ici, les meilleures récoltes de début de saison sont les fraises, qui poussent comme des mauvaises herbes dans le sol sombre et argileux.

Toutefois, c’est incontestablement le bleuet qui remporte le titre de roi des baies de la Nouvelle-Écosse. La ville d’Oxford, Nouvelle-Écosse, s’est autoproclamée « capitale canadienne du bleuet sauvage », bien que l’emploi du terme « sauvage » ne soit pas tout à fait approprié. En effet, cela fait référence aux bleuets à feuilles étroites, aussi appelés bleuets nains, lesquels peuvent être cultivés sur une ferme commerciale. Ils présentent une bonne diversité génétique, un taux élevé de nutriments et une saveur acidulée. C’est ainsi qu’ils se distinguent des bleuets plus gros et plus sucrés qui poussent dans de plus grands arbustes.

Si vous visitez Oxford, vous serez accueilli par un personnage fantaisiste de bleuet de la taille d’un camion, avec de grands yeux blancs, des bras bleus dégingandés sur les hanches et un bleuet sur la tête en guise de couronne. La baie indigène est reine dans cette ville, où est installée l’entreprise Oxford Frozen Foods, le plus grand transformateur industriel de bleuets sauvages au monde, qui possède 9 712 hectares (24 000 acres) de champs de bleuets sauvages répartis dans trois provinces maritimes canadiennes et dans le Maine, ce qui en fait la plus grande ferme fruitière au monde.

Malgré le succès commercial à grande échelle de l’industrie du bleuet, celle-ci ne sert pas qu’à brasser des affaires. À partir d’août jusqu’au début de septembre, la Nouvelle-Écosse rurale s’anime et fourmille d’étalages routiers qui vendent à la criée des chopines de bleuets sauvages, de même que des tartes, des confitures et d’autres délices. La saison de la récolte culmine avec un festival provincial d’une semaine qui propose des soupers de crêpes, des expositions d’art, des concerts, des journées portes ouvertes à la ferme et des goûters.

Même si aujourd’hui je me concentre sur la cueillette de fraises, je termine ma matinée dans un autre champ et me trouve debout à côté d’un imposant et bien touffu plant de bleuets. Il a déjà perdu ses fleurs et on peut apercevoir de petits groupes de baies vertes en croissance.

Pour les habitants affamés comme les touristes curieux qui cherchent à acheter des bleuets, tout particulièrement ceux qui ne souhaitent pas aller débroussailler des terres publiques à la recherche d’arbustes sauvages, il est bon de savoir qu’Elderkin’s U-Pick cultive la variété de bleuets qui pousse sur de grands arbustes, qui sont plus gros et plus faciles à cueillir. Bien qu’ils ne possèdent pas les mêmes caractéristiques que les baies sauvages de mon enfance, ces fruits bien dodus remplissent une chopine plus rapidement et tachent les paumes tout aussi vite.

La saison de la cueillette à la ferme Elderkin’s attire principalement des visiteurs d’Halifax, la grande ville la plus proche, mais aussi des touristes du monde entier. « Ici, ce qui limite la croissance, c’est notre population. En transportant notre marché à côté d’une grande ville, je multiplierais par 100 mon chiffre d’affaires », affirme le fermier.

Ces derniers temps, il passe ses nuits ici et ouvre le marché à 8 h. Il transmet ses connaissances à ses fils en vue du jour où ils prendront le relais de la ferme; ce sera la 10e génération à cultiver ces terres.

En grande partie, c’est la culture de baies qui a permis à la ferme familiale de poursuivre ses activités. « L’autocueillette a permis à la ferme de rester ouverte. Les fruits et les baies nous ont sauvés lors de périodes particulièrement creuses », explique-t-il. Mais il ne se plaint pas. « La vallée d’Annapolis est l’une des cinq meilleures régions au Canada pour l’agriculture, et on ne se lasse jamais du paysage », dit-il.

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